XI
CES VISAGES DANS LA FOULE

L’auberge de la Toison d’Or, dans les faubourgs de Douvres, était un gros relais de chevaux de poste, un bâtiment imposant marqué par les intempéries ; c’était une escale confortable pour quiconque, venant du port ou s’y rendant, devait affronter les routes de la région.

Le contre-amiral sir Marcus Drew attendit que les domestiques de l’auberge eussent rangé ses coffres de voyage dans la chambre adjacente et s’avança jusqu’à la fenêtre à petits carreaux sertis de plomb qui donnait sur la place pavée. Il observa avec dégoût les groupes de citadins qui bavardaient en plein soleil ; certains achetaient des fruits ou du genièvre à des vendeuses qui déambulaient, un plateau attaché au cou par un ruban. C’est tout juste si l’on apercevait un coin du port ; il était rassurant de penser, se dit Drew, que plusieurs petits navires de guerre étaient mouillés là. Sur le chemin de l’auberge, la présence de fusiliers marins en uniforme écarlate et de petits détachements de dragons au visage fermé avait contribué à le rasséréner.

Cependant, le contre-amiral ne se sentait guère à son aise dans cette ville ; s’il n’avait ; reçu l’ordre exprès de quitter Londres, peut-être serait-il au moment même dans les bras de sa jeune maîtresse. Il se détourna de la fenêtre. Son secrétaire, qui venait d’entrer, s’arrêta un instant et le regarda, tout en continuant à essuyer avec un mouchoir ses lunettes à monture d’or :

— Etes-vous satisfait, sir Marcus ?

Il parcourut d’un regard circulaire la vaste pièce qu’il considérait comme digne d’un palais. Mais Drew renifla avec mépris :

— Je n’aime pas cet endroit. Ni cette situation, en fait.

Cela l’inquiétait, ce déplacement auquel on l’avait plus ou moins forcé. Il était habitué à maîtriser complètement les événements qui gouvernaient son existence. D’ordinaire, il consacrait ses journées à sélectionner des officiers venus briguer un poste dans la Marine. A l’occasion, il savait se plier de bonne grâce aux inclinations de Leurs Seigneuries en faisant preuve d’une opportune indulgence vis-à-vis de tel ou tel jeune officier notoirement incapable.

Et voilà qu’il se retrouvait à Douvres. Il fronça les sourcils. A Cantorbéry, où l’on trouve un minimum de vie mondaine, son sort eût déjà été plus acceptable ! Douvres. Vue de l’intérieur, et non pas avec les yeux d’un marin à peine débarqué, la ville montrait quelque chose de rustique et de brutal, d’instable et de précaire, bref de populaire.

Seule la présence massive et millénaire du vieux château qui dominait le port et ses atterrages apaisait un peu son angoisse.

— Le commandant Richard Bolitho est arrivé, sir Marcus.

Le secrétaire pencha la tête de côté :

— Dois-je… commença-t-il.

— Non ! Faites-le attendre, morbleu ! Et apportez-moi à boire.

— Du cognac, sir Marcus ?

Le contre-amiral le foudroya du regard :

— Vous payez-vous ma tête ? Du cognac ? Du cognac de contrebande ? Grand merci !

Il se ressaisit. Ce n’était pas de la faute de son secrétaire s’il était presque impossible de trouver du cognac en dehors du marché noir. Et puis… le bonhomme était au courant de sa petite liaison, mieux valait le ménager. Sur un ton plus raisonnable, il concéda :

— Apportez-moi ce que vous trouverez. Cet endroit… me déprime !

Le vénérable secrétaire gagna la fenêtre à pas lents et observa la foule qui, en une demi-heure, avait doublé de volume.

On entendait même des flonflons ; quelques danseurs costumés égrenaient leurs petites révérences. Des voleurs à la tire, sans doute, songea-t-il.

L’autre extrémité de la place était fermée par un cordon de dragons à cheval, en grand uniforme rouge ; ils ne quittaient pas des yeux la populace tandis que leurs deux officiers, tout à leur conversation, faisaient les cent pas. Un charpentier mettait la dernière main à l’échafaud improvisé. Le secrétaire nota que l’homme, tout en travaillant, marquait du pied la cadence de la musique. Il n’était pas surprenant que le contre-amiral ne fût guère dans son assiette : à Londres, ce genre de spectacle lui était épargné. On n’y voyait d’autres cadavres que ceux des pendus qui balançaient leurs guenilles dans les faubourgs, aux gibets alignés le long des grandes routes.

Sir Marcus vint le rejoindre près de la fenêtre et murmura :

— Par le ciel, j’aurais cru qu’ils se seraient contentés des bruits venant de France, mais…

En homme prudent, il ne précisa pas sa pensée.

Deux étages plus bas, Bolitho fut introduit dans un petit parloir et s’installa dans un coin frais. L’auberge semblait réquisitionnée par la Marine, mais il n’y trouva personne de sa connaissance. Absent d’Angleterre, il avait perdu de vue toutes ses relations. Sur son passage, un jeune lieutenant avait bondi pour lui bredouiller à la figure :

— Permettez-moi de me présenter, commandant Bolitho ! Si vous cherchez un jeune lieutenant…

— Je ne puis rien vous promettre, répondit Bolitho en secouant la tête, mais ne perdez pas courage.

Combien de fois n’avait-il pas lui-même brigué un poste ?

Le patron de l’auberge tint à le servir lui-même et lui apporta à sa table une haute chope de bière locale :

— Nous ne sommes pas habitués à recevoir tant de grands personnages, Monsieur, pour sûr ! La guerre est pour bientôt, dirait-on !

Il se retira en étouffant un petit rire.

Par les étroites fenêtres, Bolitho apercevait des coins de ciel bleu ; il continuait à être la proie de toutes sortes de souvenirs, celui d’Allday, surtout : à genoux sur le pont, le malheureux continuait de le saluer en tournant vers lui son visage tuméfié. Ni Allday ni lui-même n’avaient exprimé la moindre incrédulité ni la moindre surprise : tous deux avaient su, au fond de leur cœur, qu’il ne pouvait s’agir que d’une séparation provisoire. Plusieurs semaines avaient passé depuis ces événements ; à présent, Bolitho se retrouvait à Douvres, convoqué par l’officier général qui lui avait offert son poste. Il entendait des gens rire aux éclats sur la place. Il se concentra sur ses pensées : par quelle coïncidence et dans quel but les avait-on réunis ici aujourd’hui ? Le fait que le contre-amiral se fût déplacé était plutôt rassurant. Dans le cas contraire, Bolitho en eût inféré que ses services n’étaient plus requis.

Un domestique entra d’un pas dansant :

— Sir Marcus va vous recevoir maintenant, Commandant.

D’un signe, il l’invita à le suivre dans les escaliers, dont la volute s’étirait en direction des étages ; les murs étaient décorés de vastes toiles représentant des catastrophes maritimes, des batailles navales et des scènes de la vie locale. Un vrai repaire de marins, songea-t-il, et aussi de contrebandiers. Quand il mit le pied sur le dernier palier, il était hors d’haleine. Manque d’entraînement ou de patience ? Les deux à la fois, sans doute.

Un laquais entre deux âges, en habit vert bouteille, l’introduisit dans la première chambre. Drew se trouvait là, près d’une fenêtre ouverte, oisif, assis dans un fauteuil. Il ne fit pas mine de se lever mais, d’un geste vague, offrit à Bolitho de prendre place :

— J’ai été convoqué, sir Marcus, commença précipitamment Bolitho, parce que…

— Moi aussi, coupa l’amiral d’un ton maussade, j’ai été convoqué, mon cher ! Prenez donc un verre de bordeaux avec moi. Je crains qu’après ce voyage, il n’ait un goût d’eau de souillarde !

Regardant Bolitho se servir, il reconnut cette physionomie grave, ce regard posé aux reflets couleur de mer du Nord ; l’abord était froid, mais le feu couvait sous la cendre.

— Vous avez envoyé à Leurs Seigneuries un rapport particulièrement circonstancié, Bolitho. Vous n’avez omis aucun détail, sans faire non plus de fioritures.

Il hocha lentement la tête :

— Un peu comme vos bâtiments des Cornouailles, avec leurs toits d’ardoise : durs et fonctionnels.

— Je n’ai dit que la vérité, Monsieur.

— Je n’en doute pas. Même si, à certains égards, j’aurais préféré vous voir procéder autrement.

Saisissant le rapport par la couverture, il le tira jusqu’à lui sur la table et commença à le feuilleter. Des mots et des phrases surgissaient scènes et événements : il avait l’impression d’entendre la voix de Bolitho lui-même.

— Vous aviez carte blanche, et vous vous en êtes servi à bon escient, comme beaucoup l’escomptaient. Résultat ? La plupart de ces déserteurs que vous avez arrêtés, ainsi que d’autres encore en fuite, se sont portés volontaires pour réintégrer la Marine.

Il lui lança un regard sévère :

— Quant à moi, je ne les aurais pas autorisés à embarquer sur d’autres navires que les leurs ; tout au moins leur aurais-je administré un châtiment propre à dissuader les nouveaux candidats à la désertion.

Il poussa un soupir et continua :

— Mais vous leur avez donné votre parole d’officier, restons-en là. Tous comptes faits, l’opération nous aura rapporté deux cents hommes ; sans compter ceux qui peuvent encore se manifester, se fiant à votre parole. J’espère que cela nous attirera des candidats venant de loin.

Il se racla la gorge.

— Maintenant, faites-moi la grâce de m’entretenir un peu du commodore Hoblyn.

Bolitho se leva et s’avança jusqu’à une fenêtre latérale qui donnait sur une impasse étroite, peu différente de celle décrite par Allday, où il avait été récupéré par l’escouade des racoleurs. Il esquiva :

— Cela aussi est dans mon rapport, sir Marcus.

Il s’attendait à se faire rappeler à l’ordre pour cette insolence, mais Drew répondit le plus tranquillement du monde :

— Je sais. Mais j’aimerais l’entendre de votre propre bouche, de vous à moi. Vous savez, Hoblyn est un compagnon d’armes, nous avons servi côte à côte pendant la guerre d’indépendance américaine. C’était un autre homme à l’époque.

Bolitho fixa la ruelle déserte. Un brouhaha montait de la foule : on venait assister à une pendaison. Bolitho essaya de s’abstraire de ce bruit de fond.

— Je l’ignorais, sir Marcus.

Il sentait le regard de l’amiral sur ses épaules, mais ne se retourna pas.

— Quelque chose s’est brisé en lui.

Comment évoquer ce drame d’un ton si détaché ? Tous les événements qui avaient abouti à la prise du Loyal Chieftain étaient à présent répertoriés dans sa mémoire et n’en bougeraient point. Il avait l’impression de se trouver dans l’œil du cyclone, calme et clair jusqu’au désespoir : bientôt s’abattrait sur lui la deuxième vague de la tempête.

— J’ai très vite soupçonné Hoblyn d’être compromis avec la contrebande, mais j’ai d’abord essayé d’écarter pareilles pensées. C’était un pauvre homme, rejeté par le seul milieu qui eût pour lui quelque attrait. Du jour au lendemain, sa fortune était faite : il prenait sans doute ces cadeaux considérables comme des témoignages d’amitié, il se refusait lui-même à les considérer comme des dessous-de-table. Un gentilhomme français est allé jusqu’à lui offrir une voiture. Alors il s’est imaginé qu’il avait le bras plus long qu’il ne l’avait en réalité. Ils l’ont choyé tant qu’ils ont eu besoin de lui puis, s’estimant trahis, ils se sont vengés.

Bolitho s’appuya des deux mains sur le rebord de fenêtre, espérant que l’amiral allait en rester là ; il préférait laisser ces événements s’estomper dans le lointain, comme lorsqu’on repose une longue-vue.

Mais le silence régnait dans la pièce, les rumeurs de la populace semblaient ne plus l’atteindre.

— J’avais précisé mes intentions auprès du major Craven avant d’appareiller.

Il fixa encore de son regard gris le fond de la petite impasse.

— Quand il nous a vus revenir avec nos prises…

Là aussi, tout s’était passé comme dans un rêve : le Snapdragon avait pris son mouillage à moins d’une encablure, peu de temps après leur arrivée, suivi par la goélette que les contrebandiers avaient souhaité utiliser comme appât. L’équipage de prise laissait éclater sa joie et menait grand tapage. Ce matelot inconnu qui, à bord du Télémaque, l’avait hélé dans le brouillard, allait aussi toucher ses parts de prise.

— Craven avait dépêché deux de ses dragons, continua Bolitho, pour escorter le magistrat chargé de lire le mandat de perquisition.

Au souvenir de cette sinistre soirée, sa voix devenait imperceptible. Il avait rejoint les dragons et le magistrat chez Hoblyn : c’était à peine si le malheureux pouvait articuler une phrase. Les fusiliers marins étaient à leur poste, en sentinelles, à l’entrée, et la plupart des domestiques attroupés en vêtements de nuit dans les jardins. Leur maître les avait chassés de la maison, expliquaient-ils, et l’un d’eux ayant demandé quelques minutes pour aller chercher ses affaires dans sa chambre, Hoblyn avait tiré un coup de pistolet à bout portant dans un lustre.

— Les portes sont fermées à clef de l’intérieur, avait dit Craven, et les verrous sont tirés. Je ne comprends pas. Il faudrait savoir pourquoi nous sommes ici ! Par le ciel, avait-il ajouté avec une colère soudaine, sa trahison a coûté la vie à plusieurs de mes hommes !

Bolitho se disposait à tirer lui-même le cordon de la sonnette quand il avait vu Allday s’approcher avec précaution au milieu des dragons.

— Tu devrais te reposer un peu, vieux frère, lui avait dit Bolitho. Après tout ce que…

Mais Allday s’était obstiné :

— Je ne vous abandonne plus, Commandant.

Craven en avait été réduit à faire appel à un de ses sergents qui était maréchal-ferrant. Ce grand dragon barbu s’était avancé résolument vers l’entrée avec une énorme hache d’abattoir ; en moins de deux minutes, les deux portes étaient à terre.

C’était une scène macabre qui les attendait. A la lueur vacillante des bougies, Bolitho avait vu les débris du lustre puis, s’approchant de l’escalier monumental, le sang sur les tapis, contre le mur et sur la rampe. Comme le major Craven montait les marches, la lame de son épée avait étincelé à la lumière des bougies. Il avait agrippé le bras de Bolitho.

— Au nom du ciel, qu’est-ce que c’est que ce vacarme ?

Voilà ce qui avait débandé les domestiques terrorisés, voilà pourquoi les sentinelles étaient restées à la porte jusqu’à l’arrivée en force des hommes de Craven. C’était un râle inhumain dont les modulations montaient et descendaient comme les hurlements d’un loup blessé. Les dragons les plus aguerris échangeaient des regards inquiets et se cramponnaient à la poignée de leur arme.

Bolitho s’était hâté de monter jusqu’au palier, puis arrêté devant la double porte ; Allday claudiquait sur ses talons, le sabre d’abordage toujours au poing.

— Au nom du roi ! avait crié Craven en enfonçant la double porte d’un coup de botte.

Aux tréfonds de son âme, Bolitho savait qu’il n’oublierait jamais le spectacle qui alors s’était offert à leurs yeux. Hoblyn, recroquevillé près du grand lit, se balançait de droite à gauche. Ses mains et ses bras étaient couverts de sang coagulé. Un moment, ils pensèrent que le commodore était blessé, ou qu’il avait en vain tenté de se suicider. Puis un sergent avait apporté d’autres bougies et ensemble, ils avaient regardé sur le lit ; là gisait ce qu’il restait du corps nu de Jules, le jeune valet de pied et amant de Hoblyn.

Comme l’informateur assassiné à bord du Loyal Chieftain, seul son visage était intact ; tout le reste du corps avait été sauvagement lacéré et labouré. A en juger par l’expression atroce figée sur ses traits, le malheureux avait subi ces abominables tortures de son vivant.

Le lit, le sol de la pièce, tout était trempé de sang. Bolitho comprit que Hoblyn avait dû prendre le cadavre dans ses bras, faire et refaire le tour de la pièce jusqu’à tomber d’épuisement, brisé. La Confrérie s’était crue trahie, elle n’avait pas compris que c’était en se lançant à la recherche d’Allday que Bolitho avait attaqué le chantier naval. Parmi les privilèges dont Hoblyn avait bénéficié en échange de ses bons offices, ils avaient choisi de s’attaquer à celui auquel il tenait le plus : le jeune valet de pied. Jules était mort sous la torture. Ils avaient abandonné son corps devant l’entrée, comme une carcasse de boucherie.

Craven avait eu du mal à parler :

— Au nom du roi, je vous inculpe ce jour…

Il s’était arrêté net, le souffle coupé.

— Emmenez-le. Je n’y tiens plus, dans ce charnier.

Hoblyn sembla sortir lentement de ses transes : il les avait regardés sans les reconnaître. Avec les plus grands efforts, il s’était maladroitement remis debout, puis avait couvert d’un drap le cadavre mutilé.

— Je suis à votre disposition, Messieurs, avait-il annoncé d’une voix atone.

Il s’était simplement tourné brièvement vers Bolitho :

— Vous avez agi dans mon dos.

Puis il avait essayé de hausser les épaules, mais en vain ; enfin, au moment de franchir la porte, il s’était souvenu :

— Mon épée. J’y ai droit.

Bolitho et Craven s’étaient regardés : chacun à sa façon avait vu venir les choses.

Ils l’avaient attendu sur le palier. Les dragons étaient alignés dans le hall, quelques domestiques stupéfaits se penchaient sur les taches de sang et les gravats détachés par la balle du pistolet. Et soudain un nouveau coup de feu avait provoqué exclamations et cris de frayeur parmi les laquais. On devait trouver Hoblyn gisant en travers du lit, étreignant d’un bras la macabre silhouette et tenant de biais, de l’autre main, le pistolet qui lui avait arraché tout l’occiput.

Bolitho s’aperçut qu’il se taisait à présent, tandis que s’enflait le vacarme venu du dehors.

— Je suis consterné d’apprendre tout cela, Bolitho, conclut doucement sir Marcus Drew. Je suis navré que vous ayez été contraint d’assister à pareille horreur. En fin de compte, c’était peut-être la meilleure fin pour lui, la seule porte de sortie.

Bolitho s’avança jusqu’à la double fenêtre et regarda en bas. Une autre scène, à présent. Les dragons étaient en selle, alignés côte à côte en travers de la place, sabre au clair. Les chevaux s’agitaient, sentant la mort. Un major à cheval flattait l’encolure de sa monture, mais sans quitter des yeux la foule houleuse. Cela aurait pu être Craven.

Drew le rejoignit et avala une gorgée de bordeaux. Il songeait encore à la mort de Hoblyn.

— Il avait perdu l’esprit, ce n’était plus l’homme que j’avais connu. Comment a-t-il pu en venir à pareille extrémité ?

Il laissa la question sans réponse.

Bolitho lui lança un regard froid :

— Quelle extrémité ? Son amour pour ce jeune homme ? C’était tout ce qui lui restait ! Sa femme, qui l’avait attendu pendant toute la guerre, n’a même pas daigné le revoir quand on lui a parlé de ces épouvantables cicatrices. Il a cherché ailleurs et il a trouvé ce garçon.

Bolitho était surpris par sa propre analyse.

— Il a appris trop tard que les linceuls n’ont pas de poches, ni les cercueils de coffre-fort.

Drew s’humecta les lèvres :

— Vous êtes un drôle de type, Bolitho.

— Un drôle de type, Monsieur ? Parce que les vrais coupables sont en liberté, se cachent en toute impunité derrière leurs grades ou leurs privilèges ?

Ses yeux lançaient des éclairs :

— Un jour…

Il se raidit. Délavai, entre deux dragons, montait l’escalier de l’échafaud. Il était tête nue, vêtu d’un élégant habit de velours. Son arrivée avait déchaîné un chœur de lazzis et de huées : c’était pour lui que la foule était là.

Bolitho baissa les yeux et vit Allday juste au-dessous de lui, appuyé à l’un des piliers de l’auberge, sa longue pipe en terre fichée dans la bouche. Au cours des dernières semaines, ses plaies s’étaient cicatrisées et il avait recouvré l’usage de ses deux yeux. Mais quelque chose en lui avait changé : il était plus taciturne, moins facétieux. Le reste était comme avant. Toujours le même bon chien fidèle, songeait parfois Bolitho. Un animal et son maître. Chacun craignait de voir l’autre mourir le premier. Etait-ce du dévouement ? Le mot était faible pour décrire le lien qui les attachait.

Probablement Paice était-il là lui aussi, attentif et assailli de souvenirs.

Les chevaux s’agitaient de plus en plus ; le major leva le bras pour faire respecter l’alignement.

— C’était une crapule, observa Drew avec douceur, mais je ne puis me défaire d’un sentiment de pitié à son égard, maintenant.

— Je prie pour qu’il file en enfer, rétorqua Bolitho sur le même ton.

Le dénouement approchait ; un fonctionnaire du bureau du shérif intervint, puis un ecclésiastique tremblotant dont les phrases, s’il en prononçait, se perdirent dans le brouhaha de la foule excitée.

Bolitho avait déjà assisté à des pendaisons, plus qu’à son goût en vérité ; les condamnés étaient, pour la plupart, des marins coupables au moins de mutinerie, hissés à la fusée de basse vergue par leurs camarades de plat.

Cet étalage ne valait guère mieux que la guillotine qui sévissait de l’autre côté de la Manche, songea-t-il. Le nœud coulant fut assuré autour du cou de Délavai, mais il secoua la tête quand un bourreau voulut lui bander les yeux.

Il avait l’air tranquille, comme indifférent. Il adressa quelques mots aux spectateurs les plus proches de l’échafaud. Au dernier moment, on vit venir un élégant phaéton rouge sombre aux portes finement armoriées que le cocher immobilisa derrière la foule.

L’arrivée de cette voiture n’avait pas échappé à Délavai qui la fixa jusqu’à ce que les yeux lui sortent de la tête. Il tenta de crier quelque chose mais à cet instant la trappe se déroba sous ses pieds et il ne fut plus qu’un pantin gigotant furieusement dans le vide. L’air quittait peu à peu ses poumons, tandis qu’il déféquait dans ses fins pantalons de nankin.

Bolitho vit le phaéton s’ébranler et remarqua un visage penché à la fenêtre ouverte. L’homme souriait. Bolitho ne tarda pas à le perdre de vue et l’élégant véhicule, s’éloignant de la place, prit de la vitesse. Le silence tomba sur la foule vaguement dégoûtée, déçue que le spectacle fût presque terminé. La marionnette grotesque tressaillait encore au bout de sa corde ; il allait falloir plusieurs minutes pour que ce contrebandier assassin et violeur passât complètement de vie à trépas.

Sans ce visage, sans cette apparition fugitive à la fenêtre du phaéton, Délavai serait mort sans regret. Bolitho s’écarta de la fenêtre ; il tremblait. Il avait reconnu le personnage : c’était la pièce manquante du puzzle. C’était lui qui accompagnait le shérif adjoint sur la route de Rochester, lui qui voulait faire pendre les deux officiers racoleurs.

Il se tourna calmement vers le contre-amiral et lui demanda d’un ton uni :

— Or donc, sir Marcus, puis-je savoir ce que je fais ici ?

 

Bolitho regarda l’ombre violette qui coupait la place en deux et sentit soudain sur son visage la fraîcheur du soir. La journée avait été longue en compagnie de sir Marcus Drew. Le contre-amiral mourait de frayeur à l’idée d’être impliqué dans une affaire susceptible de compromettre le confort de son poste à l’Amirauté ; une conversation aussi stérile que guindée, par conséquent.

Un seul indice offrait quelque intérêt : ils devaient rencontrer tous deux un homme d’importance considérable, répondant au nom de lord Marcuard.

Bolitho avait déjà entendu ce nom dans le passé, et l’avait vu cité à plusieurs reprises dans la Gazette. Ce grand seigneur, suprêmement influent, était au-dessus des règles du parlement. Il avait l’oreille de Sa Majesté, qui l’écoutait volontiers sur les grands thèmes de politique générale.

Drew avait couvert Bolitho de recommandations formelles :

— Ne vous risquez pas à indisposer Sa Seigneurie. Cela ne pourrait que vous causer du tort. Vous ne faites pas le poids, vous savez.

Bolitho observa que les charpentiers s’étaient remis au travail sur l’échafaud déserté : deux bandits de grand chemin, qui avaient longtemps sévi sur la route de Douvres, allaient subir demain le même sort que Délavai. Sans doute attireraient-ils plus de monde encore. La rumeur publique voulait en effet que les brigands de grand chemin fussent différents des assassins et voleurs ordinaires.

Le manque de personnalité du contre-amiral ! Vienne la guerre : c’est à des gens de son acabit que les jeunes commandants auraient à obéir ! Des amiraux hissés au faîte de la hiérarchie par les activités émollientes du temps de paix ; des intrigants, des affairistes obsédés par leur profit personnel.

Le vieux secrétaire ouvrit la porte et leur lança un bref regard :

— La voiture de lord Marcuard est annoncée, sir Marcus.

Drew rectifia vivement le nœud de son foulard et jeta un coup d’œil anxieux à un miroir :

— Nous ne pouvons qu’attendre ici, Bolitho.

Il était incroyablement nerveux.

Bolitho se détourna de la fenêtre. La voiture n’était pas arrivée par la place : cette rencontre devait rester secrète. Il sentit les battements de son cœur s’accélérer ; en premier lieu, il avait cru à une simple entrevue de routine, quelques mots d’encouragement pour faire preuve de plus de pugnacité dans la lutte contre les contrebandiers. Lord Marcuard était casanier, il quittait rarement son hôtel particulier de Whitehall, sauf pour se rendre dans sa grande propriété du Gloucestershire.

On entendit un bruit de bottes dans l’escalier et deux gardes, munis chacun d’un pistolet et d’une arme blanche, prirent position sur le palier de chaque côté de la porte ouverte. En dépit de leur livrée civile, c’étaient bel et bien des soldats aguerris et non d’inoffensifs laquais.

— On dirait que nous sommes bien protégés, sir Marcus, murmura Bolitho.

L’amiral le foudroya du regard :

— Ne soyez donc pas si désinvolte !

Une ombre franchit le seuil, Bolitho s’inclina. Marcuard n’était pas l’homme qu’il avait imaginé ; il était grand et mince, entre deux âges, avec un profil net, un nez et un menton finement dessinés, et un regard fixe empreint de mélancolie dédaigneuse. Il était vêtu avec recherche d’un habit et d’un haut-de-chausses vert pâle. De la pure soie, probablement, se dit Bolitho. Il portait à la main une canne d’ébène. Ses cheveux, rassemblés sur la nuque par un ruban dans un style fort peu anglais, étaient abondamment poudrés, petite coquetterie qui permettait de l’identifier à coup sûr comme un courtisan. Bolitho n’avait jamais eu grande estime pour les hommes aux cheveux poudrés : celui qu’il avait en face de lui n’avait rien d’un guerrier.

— C’est un immense honneur, Monseigneur, balbutia Drew.

Lord Marcuard s’assit méthodiquement, arrangeant avec grand soin les queues de son élégant habit :

— Je vais prendre du chocolat. Le déplacement : épouvantable. Et à présent, cet endroit…

Pour la première fois, ses yeux se posèrent sur Bolitho ; il semblait s’ennuyer profondément, mais son regard était aussi perçant qu’une lame acérée.

— Ainsi, c’est vous dont on narre partout les hauts faits… Magnifique ! Tuke entravait notre commerce.

Bolitho, qui tombait des nues, chercha à garder contenance : il avait d’abord cru que Marcuard faisait allusion à la capture du Loyal Chieftain. Mais cette ambiguïté calculée était un premier piège : il lui fallait rester sur ses gardes.

Drew avait du mal à suivre Marcuard, entre le chocolat chaud et les exploits de Bolitho dans les mers du Sud ; pris au dépourvu, il rougit.

Bolitho se félicitait de ne pas avoir bu, contrairement au contre-amiral, plus de quelques gorgées de vin. Marcuard avait beau jouer les dandys, il était difficile de lui en faire accroire.

— J’avais un superbe équipage, Monseigneur, dit-il.

Marcuard afficha un sourire froid :

— Peut-être, de leur côté, servaient-ils sous les ordres d’un excellent commandant.

Il se toucha le menton avec le pommeau de sa canne :

— Un bon équipage ne tombe pas du ciel.

Il poursuivit sans attendre de réponse :

— La situation en France est pour Sa Majesté cause de souci ; William Pitt cherche bien à prendre des mesures, néanmoins…

Bolitho regarda le pommeau d’argent : un aigle tenant entre ses serres une sphère. La planète Terre ? Marcuard, à l’évidence, ne portait pas Pitt dans son cœur. Du même ton détaché, il continua :

— Les perspectives de Sa Majesté sont susceptibles de se modifier d’un jour à l’autre.

De nouveau, il sourit légèrement.

— Comme les vents qui soufflent de France.

Ses fins sourcils se froncèrent :

— De grâce, ayez la bonté de me procurer une tasse de chocolat !

Bolitho était déjà debout, mais l’aristocrate l’arrêta :

— Pas vous ! J’ai besoin de votre avis.

Bolitho se sentit humilié pour Drew. S’agissait-il d’une brimade délibérée ou d’une preuve supplémentaire de l’immense autorité de Marcuard ?

Drew se hâta de s’exécuter. Marcuard poursuivit :

— Je suis arrivé trop tard pour voir la dernière pirouette de Délavai. Nos routes… Autrement, j’aurais volontiers fait un pari…

Son ton se fit plus sec :

— Magnifique, votre prise du brick et de la goélette des contrebandiers. Vous vous êtes montré à la hauteur de votre réputation de commandant de frégate. J’ignore quel sera votre destin, mais on peut parier que vous resterez jusqu’à votre dernier souffle un grand officier de marine !

Bolitho savait que Marcuard ne parlait pas au hasard. Il n’avait pas fait le trajet jusqu’à Douvres pour une simple conversation de salon.

— Je me suis battu, Monseigneur, répondit Bolitho. L’enjeu en valait la peine.

— Certes.

Il le toisa de la tête aux pieds, mais sans curiosité.

— Croyez bien que je suis parfaitement renseigné. Quant au commodore Hoblyn…

Il eut une moue méprisante :

— Un brave, jadis. Mais quelle déchéance ! Je vois, Bolitho, que vous êtes troublé par tout cela. Expliquez-vous, mon cher.

Bolitho regarda la porte. Drew s’en trouverait mal s’il savait qu’on en était ici à s’ouvrir franchement de ses pensées.

— J’ai la conviction intime, Monseigneur, que Délavai était absolument certain d’échapper à la potence. En dépit des preuves accumulées contre lui, en dépit des circonstances très… particulières dans lesquelles ces jeunes Françaises ont péri, il s’est toujours cru protégé.

Il marqua une pause ; il s’attendait à se voir clouer le bec par Marcuard, comme plus tôt par Drew. Mais le courtisan garda le silence.

— Sir James Tanner, continua Bolitho, est propriétaire de la plupart des domaines où déserteurs et contrebandiers trouvent refuge entre deux coups de main sur la Manche. J’ai en main de nombreux indices tendant à prouver que lui, et lui seul, peut avoir la haute main sur une organisation qui exige des mouvements aussi complexes. Il s’est acquis, moyennant finance, la collaboration ou le silence de beaucoup d’âmes vénales, depuis ce misérable aspirant jusqu’au commodore, et même jusqu’à de hauts personnages.

— Je comprends à présent pourquoi vos actions donnent lieu à de telles controverses. Précisez votre pensée.

— Tanner considère que son rang et sa fortune le placent au-dessus de tout soupçon, et même de toute compromission. Il ne se trouvera pas dans le royaume un seul juge, un seul magistrat, pour prêter l’oreille à des accusations le visant. Comment le gouvernement peut-il demander, que dis-je, exiger la vie de simples matelots alors même que les vrais coupables font litière de ces lois qui accablent le petit peuple ?

Marcuard hocha lentement la tête, il en savait assez :

— C’est votre dernière action qui m’a donné envie de vous rencontrer. Je me posais certaines questions. Je suis sûr que les équipages de vos trois cotres vous sont dévoués corps et âme, non ?

Bolitho crut avoir mal entendu : était-ce tout le cas qu’il faisait de son opinion ?

— Si la guerre éclate, ou plutôt, devrais-je dire, quand elle éclatera, nous ne pourrons pas compter sur l’anarchie qui règne en France comme sur notre meilleur allié. Assurément, la fine fleur de leur état-major a péri sur l’échafaud, emportée par la folie de cette révolution. Mais d’autres meneurs se lèveront : l’Histoire nous apprend à ne jamais préjuger de la vacuité du pouvoir. Nous l’avons bien vu en Angleterre quand Charles a laissé sa tête sur le billot.

La lourde canne d’ébène se mit à marteler le plancher, soulignant chaque mot :

— Et pourquoi pas une contre-révolution ? L’avenir le dira. La France a besoin d’un roi, installé sur son trône légitime.

Bolitho était stupéfait. Marcuard, amusé, sourit franchement pour la première fois :

— Mais je vous égare, mon cher commandant ! Eh bien, tant mieux : si certains perçaient mes projets à jour, nos espoirs seraient anéantis avant que d’avoir pu se concrétiser.

Marcuard se leva avec aisance et gagna la fenêtre :

— Il nous faut un officier de confiance. Aucun civil ne saurait faire l’affaire, surtout pas un parlementaire. Ce ne sont au fond que des mercenaires. Rien de plus. Ils ont beau afficher les plus pures intentions…

Il pivota sur ses talons avec la légèreté d’un danseur et enchaîna, à la totale surprise de Bolitho :

— J’ai arrêté mon choix sur vous.

— Pour… Pour aller où, Monseigneur ? Pour faire quoi ?

Marcuard ignora ces questions :

— De vous à moi, Bolitho : aimez-vous par-dessus tout votre roi et votre pays ?

— J’aime l’Angleterre, Monseigneur.

Marcuard hochait lentement la tête.

— Enfin un cœur sincère ! En France, certains conspirent pour délivrer le roi. Des héros quelque peu fanatiques, mais qui doivent être assurés de notre appui. Ils ont toutes les raisons de se méfier des espions, des traîtres. Au moindre faux pas, c’est la guillotine. Je le sais, je l’ai vu.

Il scruta longuement Bolitho :

— J’ai du sang français, savez-vous ? Votre rapport sur ces deux jeunes filles assassinées en mer m’a intéressé au plus haut degré. Ma propre nièce a été guillotinée dès le premier mois de la Terreur. Elle venait d’avoir dix-neuf ans. Ainsi…

Agacé, il se tourna vers le palier où résonnaient des appels.

— Seigneur ! Combien de temps cela prend-il, dans le Kent, pour préparer une tasse de chocolat ?

Et reprenant plus bas :

— Quelqu’un se mettra en rapport avec vous. Mais ne soufflez mot à quiconque jusqu’à ce que le projet se précise. Je vous envoie en Hollande.

Il fit une pause pour permettre à Bolitho de se ressaisir :

— Quand la guerre éclatera, la Hollande s’alliera à la France. Aucun doute n’est permis, redoublez donc de prudence. L’Espagne elle-même leur emboîtera le pas le moment venu.

— Mais je croyais, rétorqua Bolitho, que le roi d’Espagne…

— …était hostile à la révolution ? Le ciel en soit loué, les Espagnols sont toujours les mêmes. Ils ne s’intéressent qu’à deux choses : leur église et l’or. Sa Majesté catholique n’aura aucun mal à se convaincre du camp qu’elle doit choisir.

La porte s’ouvrit sur Drew. Deux domestiques de l’auberge marchaient sur ses talons. Drew multiplia les révérences :

— Pardonnez-moi ce long retard, Monseigneur.

Ses yeux allaient d’un interlocuteur à l’autre.

— Je suis sûr que ce n’était pas une attente inutile, sir Marcus, glissa Marcuard.

Il se pencha pour examiner le contenu du plateau ; son regard croisa celui de Bolitho et il ajouta perfidement :

— Ce serait un comble !

Puis il se détourna et signifia son congé à Bolitho :

— Vous pouvez vous retirer, Bolitho ; l’amiral et moi-même avons maintenant à évoquer des sujets pénibles.

Bolitho gagna la porte et se retourna pour s’incliner une dernière fois. Il eut le temps de constater le soulagement de Drew : il ne déplaisait pas à lord Marcuard, l’homme de confiance de Sa Majesté, sa carrière à l’Amirauté pourrait continuer sans encombre.

Bolitho referma la porte sur un dernier regard de Marcuard – le regard d’un complice, d’un conspirateur.

 

Toutes voiles dehors
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